vendredi 26 septembre 2014

Les écrits d'Emilie { 2 } Brisée

Brisée.


Le vent souffle dans mes cheveux, les faisant fouetter mon visage. En-dessous de moi, la mer. Je m’assois sur le rebord de la falaise, les jambes dans le vide. Il suffirait d’une légère poussée, et ce serait la mort. Les vagues sont agitées ; je n’aurais qu’à me laisser couler. Ce serait tellement plus simple.
Cependant, il faut encore que j’attende.
Il fait beau, aujourd’hui. Le soleil caresse ma peau, mais je ne sais plus ce qu’est la chaleur. Je ne comprends plus le sens du mot « vivre », ni celui du mot « espoir ».
Le vide m’attire irrésistiblement, pourtant je résiste et sors une feuille de papier ainsi qu’un stylo de ma poche. Mes cuisses sont mon seul support, mais ce sera amplement suffisant. Il faut juste que j’écrive.

  Jonathan,
  Aujourd’hui, ça fait deux mois. Déjà deux mois. Le temps passe vite, n’est-ce pas ?
  J’aimerais tellement que tu sois là, avec moi. J’aimerais tellement que tu ne sois pas parti. J’aimerais tellement de choses…
  Je ne supporte plus leurs regards. Dès que je vais quelque part, ils m’observent avec compassion et se taisent. Ils ne comprennent pas. Ils ne comprennent jamais.
  Pourquoi ne suis-je pas partie avec toi ? Pourquoi suis-je restée ici, seule et perdue ? Je l’ignore. Mais ce que je sais, c’est que je donnerais n’importe quoi pour être avec toi.
  Pourquoi a-t-il fallu que tu quittes ce monde ? Moi, je n’ai eu que quelques fractures : une jambe cassée, quelques côtes enfoncées, quelques égratignures. Un cœur brisé. La douleur physique est forte, mais pas autant que la douleur morale. 
  Je pense tout le temps à toi. Tout le temps. Tu ne quittes plus mes pensées, et dès que je vois tes amis ou ta famille, je ne peux pas m’empêcher de pleurer. Je suis trop faible, je sais. Mais c’est plus fort que moi. C’est tellement plus fort que moi.
  Je ne supporte plus cette vie triste et monotone qu’est devenue la mienne. Je suis incapable de faire quoi que ce soit. Incapable de faire mon deuil, incapable d’appliquer les conseils de mon psy, incapable de parler à qui que ce soit d’autre que toi. Je viens te voir dès que je peux, et je reste devant ce qui reste de toi sans bouger pendant des heures. 
  Tu dois me trouver pitoyable, à parler toute seule devant ta tombe. Je me demande toujours si tu m’écoutes, de là où tu es maintenant. Peut-être que oui. Peut-être que non. De toute façon, quelle importance ? Tout ce que je trouve à te raconter, ce sont de vieux souvenirs. Toujours les mêmes. Notre rencontre, il y a dix ans, quand nous avions quinze ans. Notre premier baiser. Notre première dispute. Notre première Saint-Valentin. La première fois que j’ai dormi dans le même lit que toi.
  Tout ça, c’est du passé, mais j’ai l’impression que c’était hier. Oui, je sais, c’est idiot. 
  Je n’en peux plus. Ne plus te voir, ne plus entendre ta voix, ne plus te toucher, ne plus me blottir contre toi, je ne peux pas le supporter. C’est trop pour moi. Je suis sûre que tu me dirais de m’accrocher, de refaire ma vie, mais je ne peux pas. 
  Je t’aimais, je t’aime, et je t’aimerai toujours. Sans toi, je ne suis rien. 
  Tu sais ce qu’il me reste de toi ? Des vêtements et des photos. Des objets tout simples. Mais ils représentent tout pour moi. 
  Je dois te paraître idiote, avec mes propos d’amoureuse transie. Ne me juge pas trop durement, d’accord ? Je ne suis pas aussi forte que toi.
  Depuis ce qui nous est arrivé, je ne suis plus montée dans une voiture. J’ai trop peur que ma vie ne bascule à nouveau. J’ai trop peur de faire une connerie et de tout foutre en l’air.
  Tu ne peux pas imaginer combien de fois j’ai pensé à me suicider. J’ai tellement envie de te rejoindre, Jonathan. Tellement envie de quitter ce monde et mes tourments. Mais je ne le fais pas, parce que je sais que tu ne le voudrais pas.
  Pourtant, il y a des jours comme aujourd’hui où la tentation est si forte que je viens sur la falaise, tout près du bord, prête à franchir le point de non-retour. Tu te souviens quand nous nous sommes embrassés ici, il n’y a pas si longtemps ? Tu me répétais que tu me rattraperais toujours si je tomberais.
  Je tombe depuis deux mois, et il n’y a plus personne pour me rattraper.
  Mais ne t’inquiète pas, je ne me laisserai pas tomber dans le vide. Il faut que je reste, au moins pour toi. Je suis peut-être faible, brisée, et pitoyable, mais pas lâche. 
  Je t’aime.
  À bientôt, Jonathan.

Myra

  Je pose le stylo à côté de moi, sur l’herbe fraîche, puis relis les lignes que j’ai écrites. Une larme silencieuse roule sur ma joue ; je l’essuie rageusement. Il ne faut pas que je pleure. Je dois penser à Jonathan, à ce qu’il dirait s’il me voyait dans cet état. Je ne veux pas le décevoir.
  Je commence à plier la feuille avec des gestes mécaniques, jusqu’à former un avion en papier. Je le tiens longtemps dans ma main, indécise : pourquoi ai-je fait cela ? C’est stupide. Il ne lira jamais ma lettre. Il ne saura jamais ce que je lui ai dit.
  Pourtant, j’ai besoin de le faire. Après tout, le psy ne m’a-t-il pas dit que je devais essayer de réaliser des choses qui m’apaiseraient ? C’est le moment ou jamais.
  Alors je me traîne jusqu’à mes béquilles, me lève difficilement en faisant attention de ne pas froisser mon petit origami, avant de revenir clopin-clopant au bord de la falaise. Là, je m’appuie sur une des béquilles, redresse la tête, serre l’avion dans ma main, puis le lance le plus fort possible en direction du ciel. Balloté par le vent, il décrit plusieurs rotations, zigzaguant au-dessus de l’eau. Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse de mon champ de vision. Ensuite, je me rassois, et je contemple les vagues, pensant encore à mon Jonathan.

  Il y en a qui lancent des bouteilles à la mer. Moi, je préfère les avions en papier : peut-être que personne ne le trouvera jamais, mais au moins il ira vers le ciel, et non vers le fond.


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