jeudi 23 octobre 2014

Les textes de Julie [ 5 } Envol

Envol




Cette nuit-là, je mis beaucoup de temps à m’endormir. Comme d’habitude, je pensais trop. Je songeais à la journée qui venait de se dérouler, à ma famille, à mes amis… Non. Pas à mes amis : je n’en avais pas aucun.
   Cela m’arrivait souvent, en fait. S’il y avait un adjectif pour me qualifier, c’était bien « rêveuse ». J’avais toujours eu une imagination débordante ; petite, j’inventais des histoires avec mes héros préférés ; mes parents pensaient qu’avec l’âge, j’aurais arrêté, or, cela s’était amplifié.
   Ainsi, parfois, le soir, quand j’étais triste ou de mauvaise humeur, dans ma tête, je m’amusais à réinventer mon monde avec des « et si » ou des « si je n’avais pas fait telle ou telle chose, j’aurais… ». C’était mon évasion, mon passe-temps.
   Il y en a qui, pour se défouler, font du sport ou tapent simplement dans quelque chose. Moi, je rêve, je suis ailleurs, dans mon monde.
   C’est donc pour cela que, cette nuit-là, je fus longtemps indécise à l’idée de m’abandonner entre les bras de Morphée. En effet, ma journée avait été exécrable : on s’était – comme d’habitude – moqué de moi, on m’avait frappée dans un coin sombre de couloir puis volé quelques affaires. Parfois, dans un élan de pitié, on me demandait pourquoi je ne me défendais pas ; et moi, je répondais : « Parce qu’on récolte toujours ce que l’on sème. »
   Telle était ma philosophie.
   Toutefois, aujourd’hui, j’en avais eu vraiment assez. Je pouvais supporter bien des choses, mais j’avais également mes limites. 
   Et en plus, mes parents s’étaient encore disputés ; j’entendais ma mère pleurer dans le salon.
   Voilà donc les raisons pour lesquelles cela faisait quatre heures – il était minuit passé – que j’étais allongée sur on lit, les bras croisés sous la nuque.
   J’avais envie de m’évader davantage, aussi m’imaginai-je dans un autobus, loin de la France, aux Etats-Unis, tiens. Nous traversions la campagne de l’Illinois ; Chicago était à deux-cents kilomètres.
   Dans ce car, j’étais assise au milieu, sur un siège passablement confortable sentant la poussière. Il y avait un jeune homme installé à côté de moi, en train d’écouter de la musique. Il ne me regardait pas ; il fixait un point invisible devant lui.
   Je tournai la tête sur le côté puis observai le paysage verdoyant, de l’autre côté des barrières de l’autoroute. Ce n’étaient que des champs, avec par-ci par-là quelques vaches ou moutons. C’était un décor très simple, pourtant il me plut énormément : cela me changeait des montagnes auxquelles j’étais habituée.
   Je décidai alors de changer d’endroit : pour apprécier les bonnes choses, il fallait les limiter – d’après moi, évidemment.
   Ainsi, je me retrouvai sur un bateau de croisière comme dans les films. Il y avait des gens partout autour de moi ; les hommes portaient tous une chemise sous une veste cintrée ; les femmes étaient vêtues de robes habillées aux couleurs chatoyantes.
   Tout cela était si… si beau ! L’océan brillait sous le soleil, les vagues créaient des reflets superbes. J’avais l’impression d’être dans un tableau, avec le vent qui soulevait mes cheveux et les ramenait contre mon visage. Même le paquebot m’émouvait : son design ressemblait à celui du Titanic, avec son grand salon à l’intérieur que laissaient entrevoir de gigantesques baies vitrées ; il y avait même une piscine sur le pont supérieur, qui était lui-même recouvert de lattes de bois verni. 
   Je souris puis optai pour un autre lieu, que j’avais toujours rêvé de visiter : la Tour Eiffel. En un clin d’œil, je me retrouvai à son sommet, tout près de cette fameuse antenne que les Parisiens avaient tant critiqué autrefois. D’ici, j’avais une vue magnifique sur la ville de Paris, toute illuminée en cette nuit de septembre. J’apercevais la Seine qui  brillait sous les projecteurs, avec çà et là l’éclat de la coque des bateaux-mouches. J’avais trouvé où je voulais être : ici, tout simplement.
   J’avançai de quelques pas jusqu’à me retrouver tout au bord, devant la barrière de sécurité. J’enjambai celle-ci sans difficulté puis m’assis dessus, les pans de ma chemise de nuit claquants sur mes jambes.
   En grande masochiste que j’étais, le vide m’attirait. Pourquoi ne pas me laisser tenter, après tout ? Qu’y avait-il de mal à désirer la liberté ?
   Ainsi, je me laissai porter par le vent puis sombrer.
   
Le lendemain matin, on retrouva la jeune fille allongée sur son lit, les mains encore autour de coup, pouces sur la trachée, un sourire flottant sur ses lèvres.

©
(Nouvelle écrite dans un atelier d’écriture, avec pour thème « Le voyage ».)

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